Lorsqu’en 1673, le commissaire Ducimetière établit le plan des Grands-Moulins, au bord de la Venoge, il dessine aussi les bâtiments et installations d’un port nommé «Sous Cossonay», sur le territoire de la commune de Penthalaz. Situé au bord du bief (Sur le plan: Bay) qui amenait l’eau de la Venoge aux Grands-Mou-lins, ce port constituait le terminus du canal d’Entreroches. Débutant à Yverdon, il aurait dû avec une deuxième phase de construction atteindre le lac Léman. Faute de capitaux et en raison des difficultés techniques pour parcourir les 12,5 derniers kilomètres jusqu’au lac (avec une dénivellation de 59m. exigeant au minimum une quarantaine d’écluses), les travaux ne furent jamais exécutés.

Entre 1626 et 1629, Elie Gouret, diplomate français au service de la Hollande, voyagea dans notre région. Ayant fait des études en hydraulique et fin connaisseur des canaux, il fut frappé par l’apparente facilité qu’il y aurait à construire une voie navigable reliant le lac de Neuchâtel au Léman, en utilisant la faille naturelle traversant le Mormont. Cette idée acquit une valeur internationale, car elle permettait de relier le Rhin au Rhône et par là, la Mer du Nord à la Mer Méditerranée. Après bien des négociations, Elie Gouret reçut du gouvernement bernois – qui dirigeait alors le Pays de Vaud –l’autorisation de réaliser son projet.

Au début de l’année 1638, les travaux commencèrent à Yverdon et, en 1640, les ouvriers avaient creusés le canal jusqu’au pied du Mormont et construit la maison d’Entreroches, bâtisse trapue toujours debout, destinée à être l’entrepôt du port le plus important et une auberge. Ce n’est finalement qu’en 1648 que le canal parvint au port «Sous Cossonay», que l’on nomma rapidement et plus simplement, mais abusivement «de Cossonay». On utilisa pour la fin du parcours le bief des Grands-Moulins. Un barrage mobile le protégeait, alors qu’une vanne à six portes réglait le cours de la Venoge, comme on le voit clairement sur la droite du plan. Le port se situait en amont de l’actuelle route cantonale enjambant la Venoge et les voies du chemin de fer.

Comme les autres ports – il y en eut cinq au total – celui de Cossonay comportait trois bâtiments: la halle aux marchandises, la demeure du commis et, un peu à l’écart, le four dans lequel le commis et sa famille pouvait cuire son pain. Un jardin et une chènevière complétaient les installations dont disposait le commis. Une chènevière est un champ sur lequel croît du chanvre; cette plante était utilisée pour la fabrication et la réparation des cordages.
Si le régisseur du canal était à Yverdon, chaque port était géré par un commis. Le commis devait savoir lire et écrire, car il devait envoyer tous les deux ans ses comptes à Yverdon. Ces deniers faisaient mention de toutes les marchandises embarquées et déchargées au port.

Important volume du port

Le volume du port de Cossonay était important. Les fûts de vin, les bosses de sel et les grains constituaient l’essentiel des produits transportés. Le commis devait aussi savoir réparer les écluses de son secteur. Celui du port de Cossonay surveillait le canal jusqu’à Entreroches. Ce furent, au début, des notaires ou des maîtres charpentiers; par la suite des gens du pays. Les commis du port de Cossonay portent le plus souvent des noms de famille bien connus dans notre région: Coendoz, cité en 1651; Chanel, cité en 1675; Abraham Epars, cité en 1719; et encore Pierre-André Epars, dit «Bois-en», cité en 1750. Leur salaire mensuel était de 40 florins par mois, mais en 1755, tout salaire fixe fut supprimé au profit d’indemnités en relation avec l’activité. Ces payes misérables n’étaient cependant pas dédaignées. Avec un jardin, quelques poses de champs et une maison, les commis se trouvaient heureux. La plupart restèrent longtemps à leur poste et souvent y moururent.

Le droit de se désaltérer

Les bateliers étaient chargés du transport des marchandises. Groupés en équipe de trois hommes par bateau, ils étaient engagés pour l’année.

Vers 1670, il y avait trois équipes attitrées au port de Cossonay. Au départ de Cossonay et jusqu’à Yverdon, l’équipage recevait 24 florins. Mais il fallait deux jours pour se rendre à Yverdon et tout autant pour la «remonte», soit le retour à Cossonay. Se faire batelier n’assurait donc nullement un gain régulier suffisant pour vivre.

Ceux qui s’engageaient étaient des campagnards du voisinage. Les plus gros transports avaient lieu en hiver, une fois les travaux des champs terminés. Les bateliers pouvaient ainsi quitter leur ferme sans trop de difficultés.
Les bateliers n’eurent pas constamment sous les yeux l’idéal de probité vers lequel ils s’étaient solennellement engagés. Comme leurs collègues du lac, ils avaient droit de se désaltérer en chemin et le plus souvent ils s’entendaient à percer en cachette les fûts contenant le bon vin de La Côte! En arrivant à Yverdon, ils n’avaient pas toujours l’humeur commode. Les bateliers avaient mauvaise réputation: ivrognes, belliqueux et querelleurs.
Chemin du Canal à Penthalaz En 1679 une maisonnette fut construite au lieu-dit «Le Bouquet», environ quatre kilomètres plus au nord, sous Lussery. Le commis de ce nouveau port continua à habiter à Cossonay, gérant ainsi les deux sites. Mais en 1714, le port de Cossonay est définitivement abandonné. La distance qui le séparait du Bouquet avec une dénivellation de quinze mètres nécessitait plusieurs écluses, d’où un ralentissement des transports.

Le courant rapide de la Venoge rendait aussi le halage pénible. En 1760, pour les mêmes raisons, le tronçon du bouquet au port d’Entreroches est aussi abandonné. Ces événements marquèrent le début du lent déclin de l’entreprise. Dans les premiers jours de juillet 1829, à la suite d’un gros orage, le pont-aqueduc du Talent, situé à la hauteur de Chavornay s’effondra; ce fut le coup de grâce. L’exploitation du canal cessa. Mais la cause principale de sa décadence fut la crise générale de la navigation intérieure, crise due à la concurrence victorieuse des transports routiers.

Au port de Cossonay, les entrepôts, la maison du commis et le four ont été démolis pour faire place aux voies ferrées. Quant au bief, il est encore visible au niveau de la gare CFF et des Grands-Mou-lins. Délaissé, le canal a peu à peu disparu du souvenir et des mémoires. Pourtant, sur la commune de Penthalaz, le Chemin du Canal le rappelle!

UN REPORTAGE HISTORIQUE DE CHRISTIAN POULY
Source: Le Canal d’Entreroches, histoire d’une idée. Paul-Louis Pelet, 1946

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