Nous sommes à L’Isle, dans le lit de la Venoge, juste à côté de sa source principale, appelée le Chauderon. «Là, vous devriez avoir de l’eau jusqu’aux genoux», montre Jean-François Rubin, directeur de la maison de la rivière à Tolochenaz.

De petites grenouilles se battent pour conserver une place dans les minuscules gouilles d’eau. Au fond, tout au fond du trou, c’est de là que devrait jaillir la rivière. Mais au creux des rochers, la surface de l’eau reste immobile. Cette source est parfois asséchée. Ça arrive peut-être une fois tous les sept ans. Mais pas comme cela, pas avec cette récurrence ni avec cette ampleur. «Les signes étaient déjà alarmants fin mai, début juin. C’est tôt, tellement tôt», s’inquiète Sylvain Kramer, garde-pêche pour la région Morges-Aubonne.

Pour le moment, la troisième source du village, celle de Belles-Fontaines, tient le coup et remplit quelque peu la Venoge. Mais aucun moyen de savoir pour combien de temps.

Ce manque d’eau vient de la quasi-absence de pluie depuis des semaines. Au plus profond du Jura, c’est plein de trous, de failles. Les roches karstiques laissent passer la pluie tombée sur la montagne. Mais quand il n’y a pas de précipitations, les sources et la nappe phréatique se tarissent. Conséquence directe: les rivières s’assèchent. Moins il y a d’eau, plus elle se réchauffe vite. Plus elle est chaude, moins elle a d’oxygène. Très vite, cette chaleur fait ses premières victimes: les truites et les ombres. Quand la température dépasse les 25 degrés, ces poissons asphyxient.

Jusqu’à maintenant, les garde-pêches faisaient des pêches électriques dans certains tronçons, pour déplacer les poissons dans des lieux moins critiques. «Mais on ne sait bientôt plus où les mettre. On doit accepter le dessèchement de certains tronçons, et la potentielle mortalité de poissons qui va avec», soupire le garde-pêche.

Vingt kilomètres à sec

Le problème ne concerne pas seulement la Venoge. «Les sources de l’Aubonne, c’est pareil. Et si vous voyez le Veyron», lâche Sylvain Kramer. Sur le pied du Jura, vingt kilomètres de rivières ne sont plus en eau, et 3000 truites ont déjà été déplacées. Quelles conséquences ont cette souffrance des poissons et cette disparition temporaire des rivières? Pour Jean-François Rubin, c’est une perte de patrimoine naturel. «Si on perdait du patrimoine culturel, comme la cathédrale de Lausanne, ce serait dramatique. Les cours d’eau, c’est pareil!» Sylvain Kramer opine: «L’eau, c’est la vie. Tout est lié: si on perd les truites, c’est que l’on aura perdu les rivières.»

« Notre vie en dépend »

Que faire alors? Il s’agit pour chacun de prendre conscience des dérèglements climatiques, et d’agir pour les freiner. «On est au pied du mur. Il faut gentiment commencer à mettre la deuxième. Notre environnement n’est pas là pour faire joli, c’est notre vie qui en dépend. Ce n’est pas juste un problème d’écolo!», lance avec ferveur Sylvain Kramer.

Les spécialistes en appellent aussi à respecter les restrictions d’eau, et à économiser ce précieux liquide. Car dans les tréfonds du Jura, tout est lié. Impossible de savoir si le fait de quasiment vider cette source n’a pas d’impact sur la nappe phréatique, ou sur cette autre source, ou sur les rivières en aval…

Comme les niveaux d’eau sont extrêmement bas, la pollution est également un enjeu. «C’est comme du sirop, image Jean-François Rubin. Moins il y a d’eau, plus on en sent le goût!»

La métaphore prête à sourire, mais le problème est sérieux. «La moindre altération de l’eau peut être fatale, prévient Sylvain Kramer. Ça peut être juste de laver sa voiture, que ça coule dans une grille d’eau claire et que ça finisse dans la rivière…»

Laissons les poissons tranquilles

Les pêcheurs doivent aussi y aller de leur effort. «Il n’y a pas d’interdiction de pêche, mais on recommande de laisser les poissons tranquilles», indique Patrick Deyhle, responsable de la communication pour la Société vaudoise des pêcheurs en rivières.

Les trois hommes n’espèrent qu’une chose: le retour prochain des pluies régulières, pour ressusciter les rivières.

Par Laura.lose@lacote.ch

légende photo : À L’Isle, au lieu-dit Le Chauderon, source de la Venoge, la rivière est tarie en raison de la sécheresse et la canicule. De g. à dr. : Sylvain Kramer (garde-pêche), Patrick Deyhle (Société vaudoise des
pêcheurs en rivière) et Jean-François Rubin (directeur de la Maison de la Rivière). PHOTO CÉDRIC SANDOZ/LA CÔTE

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